Créatures aquatiques oubliées 2/2 : Encantado, Nuckelavee, Kappa, Selkie et Nixe
Des eaux troubles de l’Amazone aux rivages brumeux des Orcades, l’imagination humaine a peuplé rivières, mers et lacs de créatures étranges ; tantôt bienveillantes, tantôt effroyables. L’encantado, le nuckelavee, le kappa, la selkie et la nixe en témoignent. Chaque peuple, selon son climat et sa culture, y a vu le reflet de ses propres craintes et de ses désirs : l’appel des profondeurs, la promesse d’une métamorphose, ou la peur de ce qui rôde sous la surface.
Ces mythes, différents par la forme, résonnent pourtant d’un même écho : celui d’une humanité qui cherche à comprendre le pouvoir indomptable des eaux et les secrets qu’elles dissimulent.
Faisons le tour de quelques créatures que vous connaissez… ou non.
Sommaire
- Encantado – le dauphin enchanté des fleuves amazoniens
- Nuckelavee – le démon des marais et des mers écossaises
- Kappa – l’espiègle esprit des rivières japonaises
- Selkie – la métamorphe mélancolique des mers du Nord
- Nixe – la sirène ensorcelante des lacs et rivières germaniques
Encantado : le dauphin enchanté des fleuves

Nom et origine
Partons pour l’Amérique du Sud ! C’est là que vit notre créature : l’encantado ! Issu du folklore brésilien et du bassin amazonien, le terme encantado signifie “enchanté” ou “ensorcelé” en portugais. Souvent représentés comme des dauphins d’eau douce, ils sont capables de se transformer en humains pour séduire et égarer les habitants des villages riverains. On croit que les encantados apparaissent lors des grandes crues ou pendant les fêtes traditionnelles, où ils peuvent danser et chanter dans l’eau pour bénir ou punir les habitants. Faisant partie intégrante des mythes amazoniens et des traditions orales, ils incarnent parfaitement la magie et le mystère des fleuves.
Description
Sous leur forme humaine, les encantados apparaissent comme de jeunes hommes séduisants, parfois vêtus de blanc ou de bleu, aux yeux captivants et au sourire irrésistible. Leur forme originelle est celle d’un dauphin rosé (Inia geoffrensis), emblématique de l’Amazone. Ces créatures possèdent des pouvoirs surnaturels : métamorphose, manipulation des courants, chant envoûtant et, selon certaines légendes, capacité à disparaître ou à transporter leurs victimes dans le fleuve.
Mode de vie
L’encantado vit dans les fleuves et affluents amazoniens, et donc rarement en mer. Il se mêle parfois aux dauphins réels pour observer les villages humains et les voyageurs. Son comportement est joueur et espiègle : il aime provoquer des situations comiques ou intrigantes, mais peut aussi être dangereux pour ceux qui enfreignent les règles de respect envers la rivière et ses habitants.
Interactions avec les humains
Selon les récits, les encantados peuvent séduire des jeunes filles ou des hommes, les entraîner dans l’eau et disparaître pendant plusieurs jours ou années. Parfois, ils reviennent pour établir des relations durables, ou ou pour semer la confusion, voire le malheur. Aiment-ils nous jouer des tours ? Tout à fait ! Faire chavirer des pirogues, imiter des voix humaines, attirer les pêcheurs dans des zones dangereuses ou créer des illusions pour tester la prudence des habitants… Un véritable passe-temps !
Symbolisme
L’encantado incarne l’innocence, la séduction, le jeu et la menace.
Nuckelavee : le démon des marais et des mers écossaises

Nom et origine
Le nuckelavee est une créature légendaire du folklore écossais, particulièrement des îles Orcades. Son nom provient du vieil écossais nic, signifiant démon ou esprit malfaisant, et kelpie, le fameux « cheval ondin » écossais. Mi-humain, mi-cheval, le nuckelavee est l’incarnation du mal qui hante les côtes et marais brumeux de l’Écosse. Cette créature terrifiante illustre les peurs des habitants face aux éléments et aux maladies qui frappaient autrefois les villages côtiers.
Description
Un monstre effrayant, dites-vous ? Un cheval gigantesque et squelettique, dépourvu de peau, aux muscles et veines apparents – mais certains le décrivent comme un centaure. Sur son dos est fixé un torse humain, sans peau lui non plus, avec un visage hurlant de rage et des bras longs et griffus. D’ailleurs, pour magnifier son apparence, il possède un œil unique qui brûle d’une flamme rouge. Son souffle empoisonne les cultures et les rivières pour provoquer sécheresses et maladies parmi les humains et le bétail. Sa forme hybride lui confère une rapidité incroyable et une force destructrice inégalée, ce qui en fait une menace redoutée dans toutes les légendes locales. Certaines légendes décrivent même le nuckelavee avec une queue de serpent ou avec un unique bras humain, accentuant son apparence monstrueuse.
Comparaison avec le kelpie : bien que tous deux soient des chevaux aquatiques maléfiques, le kelpie séduit et attire les humains (pour les noyer ou les dévorer), tandis que le nuckelavee est purement destructeur.
Mode de vie
Le nuckelavee hante les marais côtiers, les estuaires et les plages battues par le vent, jamais loin de l’eau salée ou saumâtre. Il est intimement lié aux intempéries et aux cycles naturels : on dit qu’il apparaît surtout lors des périodes de sécheresse ou d’épidémies. Solitaire, il ne se mêle à aucune autre créature et sa présence est synonyme de malheur. Sa nature aquatique lui permet de se déplacer aisément entre terre et eau, attaquant sans prévenir et disparaissant tout aussi rapidement dans les marais ou la mer.
Interactions avec les humains
Les histoires locales racontent que le nuckelavee s’attaque aux humains et au bétail, détruit les récoltes et répand la maladie. Aucun charme ou incantation ne peut totalement le détourner, à part le sel et l’eau douce (oui, il vous suffit de traverser un ruisseau pour le semer). Certaines légendes affirment que son apparition est toujours précédée d’une odeur de pourriture ou d’air moite, avertissant les villageois du danger imminent. Les pêcheurs et villageois ont longtemps raconté ces rencontres pour expliquer les catastrophes naturelles (sécheresses ou épidémies, vous l’aurez compris), transformant le nuckelavee en mythe pédagogique visant à respecter la mer et les marais.
Symbolisme
Le nuckelavee incarne la peur de la nature déchaînée et les dangers des zones humides inhospitalières. Il est un symbole de destruction mais aussi d’avertissement : respecter les éléments et ne pas s’aventurer imprudemment dans des lieux sauvages. Il illustre également l’universalité de l’archétype du cheval démoniaque, souvent présent dans les mythologies nordiques et celtiques.
Apparitions
Les récits du nuckelavee abondent dans les traditions orales des Orcades, principalement transmis par les marins et différents conteurs. Dans certaines variantes, il possède une queue de serpent ou peut projeter un souffle toxique sur les villages. Son image a inspiré des œuvres modernes de fantasy et d’horreur, qui le présentent comme l’archétype du monstre marin vengeur.
Kappa : l’espiègle esprit des rivières japonaises

Nom et origine
Maintenant, direction le Japon ! Le kappa, bien qu’il ne soit pas très célèbre chez nous, est une créature populaire dans le folklore japonais. Il serait connu depuis l’époque médiévale, mais certains chercheurs pensent que ses traits viennent d’anciennes croyances animistes (croyance selon laquelle la nature est régie par des esprits voisins à la volonté humaine) et shintoïstes sur les esprits des rivières et des marais. Son nom signifie littéralement « enfant de la rivière » ou « personne de l’eau », mais le terme peut aussi être lié à kawako, « petit enfant de la rivière ». Il est souvent décrit dans les contes populaires et les légendes locales comme un esprit des rivières, des étangs et des marais, capable de jouer des tours aux humains ou de les punir s’ils manquent de respect à l’eau ou à la nature.
Description
Le kappa est représenté comme un petit humanoïde à la peau verdâtre et à la tête creuse contenant un réservoir d’eau, source de son énergie et de ses pouvoirs. Il possède un bec ou une bouche semblable à celle d’une tortue, des mains palmées et une carapace sur le dos. Sa taille varie selon les légendes, allant de celle d’un enfant à celle d’un adolescent. Les kappa sont réputés pour leur grande force, leur agilité dans l’eau et leur malice. Leur réservoir d’eau sur la tête est crucial : s’il est vide ou sec, le kappa perd ses pouvoirs et peut ainsi être maîtrisé.
Mode de vie
Il vit dans les rivières, les étangs et les marais du Japon, souvent à proximité des villages ou des chemins fluviaux. Mais il aime également s’aventurer sur la terre ferme pour interagir avec les humains, souvent de façon espiègle ou pour tester leur respect des règles locales. Il se nourrit de légumes, de poissons, et selon certaines traditions, il aurait un goût pour les organes humains, notamment le foie ou le sang des victimes imprudentes.
Interactions avec les humains
Les kappa sont célèbres pour leurs blagues, farces et défis : ils attirent les voyageurs dans l’eau, les plongent ou les entraînent dans des jeux aquatiques. Cependant, ils peuvent aussi être respectueux et serviables si l’on observe les rituels appropriés. Il faut également savoir qu’il adore les concombres ! Certaines légendes racontent que les villageois inscrivaient leur nom sur un concombre offert au kappa pour qu’il protège leur famille.
Symbolisme
Symbolisant le respect de la nature, l’apprentissage par le jeu et l’équilibre entre danger et protection, le kappa rappelle aux humains que l’eau est un élément vital, mais qu’elle doit être approchée avec prudence et humilité. Dans la culture japonaise, le kappa est aussi un outil pédagogique, enseignant aux enfants à rester prudents près des rivières tout en développant leur imagination et leur sens du merveilleux.
Apparitions
Le kappa apparaît dans de nombreux contes populaires japonais, souvent dans des histoires humoristiques mais morales. Certaines variantes régionales le présentent avec des pouvoirs magiques plus étendus, capables de guérison ou de prévoyance. Il apparaît aussi dans des mangas, des dessins animés, des jeux vidéo et des festivals japonais.
Anecdote
Pendant la période d’Édo, des cadavres de kappa pouvaient être aperçus dans les marchés japonais. Il s’agissait de créatures que les samouraïs prétendaient avoir éliminées pour assoir leur légitimité. En réalité, ils faisaient appel à des artistes qui réalisaient ces dépouilles en utilisant des parties de divers animaux. Ce qui explique leur apparence !
Selkie : métamorphe de la mer du Nord

Nom et origine
Les selkies viennent principalement du folklore écossais, irlandais et des îles Féroé. Leur nom vient du mot écossais selkie, qui signifie « phoque ». Ces créatures sont capables de se transformer : elles vivent sous forme de phoques dans l’eau, puis prennent forme humaine lorsqu’elles quittent la mer.
Description
Sous leur forme humaine, les selkies apparaissent comme de jeunes hommes ou femmes d’une beauté époustouflante, souvent vêtus de manière simple mais élégante. Les selkies possèdent parfois des yeux rappelant la couleur de l’océan, et peuvent également avoir des nageoires visibles même sous forme humaine. Leur transformation en phoque leur permet de vivre pleinement dans l’eau, et elles gardent une force ainsi qu’une grâce remarquables même sous cette forme.
Mode de vie
Les selkies habitent les côtes rocheuses, les fjords et les plages de l’Atlantique Nord. Elles vivent en colonies sous l’eau, revenant parfois sur terre pour danser, chanter ou interagir avec les humains. Leur vie est partagée entre la liberté de l’océan et les liens qu’elles nouent avec le monde humain, ce qui constitue souvent le cœur de leurs légendes tragiques.
Interactions avec les humains
Les récits racontent souvent que les selkies tombent amoureuses d’humains qui, parfois, n’hésitent pas à les capturer. Mais attention, leur manteau de phoque est essentiel ! Sans lui, elles ne peuvent pas retourner à la mer. Si bien que certaines légendes racontent qu’elles volent les manteaux pour se venger !
Symbolisme
Les selkies représentent la liberté, la nostalgie et la beauté fragile. Dans la littérature et le folklore, elles servent de métaphore pour la dualité humaine : entre le monde matériel et la quête d’évasion, entre l’amour et l’indépendance.
Apparitions
Elles apparaissent dans de nombreux contes écossais et irlandais, souvent centrés sur des romances tragiques ou des retrouvailles impossibles. Certaines versions évoquent des enfants nés d’un humain et d’une selkie, possédant un lien spécial avec l’eau.
Nixe : la sirène des rivières et lacs germaniques

Nom et origine
La nixe (ou nix/nixie) est une créature issue du folklore allemand, scandinave et suisse. Son nom provient du vieux germanique niks, signifiant esprit de l’eau. Les nixes sont souvent associées aux rivières, lacs et étangs, et sont proches des ondines et naïades dans leur rôle de gardiennes des eaux. Dans certaines traditions, elles apparaissent également comme des esprits marins plus sombres et dangereux. Certaines régions les considèrent comme des esprits liés aux sources sacrées, capables de bénir les villageois ou de provoquer des sécheresse, tandis que des traditions scandinaves les rapprochent des esprits des morts, leur conférant un rôle de médiatrice entre les mondes humain et spirituel.
Description
Apparaissant généralement sous les traits de jeunes femmes séduisantes, certaines légendes décrivent la nixe avec des attributs aquatiques : queue de poisson, nageoires ou peau légèrement irisée. Elles possèdent des pouvoirs magiques, notamment la manipulation de l’eau, la métamorphose et la capacité d’attirer les humains, souvent pour les charmer ou les punir. Dans quelques légendes allemandes, leurs mains sont légèrement palmées et elles ont des yeux luminescents la nuit. Elles pourraient aussi se transformer en brume ou en vapeur d’eau pour échapper aux humains.
Mode de vie
Les nixes vivent dans les rivières, lacs et étangs d’Europe centrale et du Nord, souvent dans des zones isolées ou profondes. Elles peuvent se regrouper ou vivre de façon solitaire, se déplaçant aisément entre l’eau et la terre. Leur comportement varie : certaines sont bienveillantes et protègent leur territoire, d’autres se montrent malicieuses ou vengeresses.
Interactions avec les humains
Elles séduisent les humains avec leur chant, leur danse ou leur beauté. Dans certaines légendes, elles peuvent entraîner les imprudents dans l’eau, provoquer des noyades ou faire perdre la raison aux mortels qui s’approchent trop près. Dans d’autres histoires, elles peuvent se montrer amicales, enseigner des secrets ou accorder des bénédictions à ceux qui respectent la nature.
Symbolisme
La nixe incarne la séduction, le mystère et le pouvoir de l’eau. Elle rappelle également le lien entre l’homme et les forces naturelles, et illustre les mythes européens autour de la beauté fatale et de l’attirance pour l’inconnu.
Apparitions
Dans le folklore allemand, certaines nixes prennent le rôle de sorcières aquatiques, tandis qu’en Scandinavie, elles peuvent être des esprits protecteurs des poissons et des rivières. Leur image a influencé la littérature fantastique et les contes modernes, et elles sont parfois assimilées aux ondines ou aux selkies selon les traditions locales.
Qu’ils séduisent, effraient ou protègent, ces esprits aquatiques rappellent que l’eau n’est jamais simple décor : elle est vivante, changeante, animée d’une volonté propre. L’encantado ensorcelle par son chant, le nuckelavee corrompt la terre qu’il traverse, le kappa enseigne la prudence, la selkie incarne la nostalgie, et la nixe, la beauté trompeuse du courant.
À travers eux, les légendes révèlent notre ambivalence face à la nature : attirés par sa magie autant que terrifiés par sa force. Ainsi, du fleuve tropical au fjord glacé, l’eau demeure le plus ancien des miroirs – celui où se reflètent nos peurs, nos rêves et notre part d’inconnu.
Et toi, connaissais-tu déjà toutes ces créatures ?
